Romain Couillet (Université Grenoble-Alpes)
Résumé : La civilisation occidentale est engagée depuis 10,000 ans dans un processus technicien, aujourd’hui verrouillé par une ontologie naturaliste (cette vision du monde qui fait de la “nature” le grand supermarché de l’humanité) qui entraîne dans son sillon les dynamiques exponentielles des consumérisme, extractivisme et colonialisme. La conséquence immédiate en est la destruction des écosystèmes (6e extinction de masse, 30x plus rapide que l’extinction du Crétacé et s’accélérant) et le dérèglement des dynamiques géophysiques planétaires (réchauffement, déplétions minérales). De gré ou de force (pic pétrolier, pénuries de ressources, chocs environnementaux et alimentaires), la société occidentale telle que nous la connaissons s’effondrera, vraisemblablement au cours de notre génération. Les technologies numériques, dont le point d’orgue est l’intelligence artificielle (IA), contribuent tout à la fois à la destruction socio-environnementale mais surtout à la perte massive d’outils de résilience (interpénétration de tous les domaines techniques, dépendance au pétrole, dépendance aux machines, dépendance aux décisions automatiques) en vue de la transition post-industrielle (retour à la terre et à l’artisanat), comme l’illustre parfaitement le cas de Cuba en 1990. Dans cette présentation, je ferai dans un premier temps un état des lieux de la situation du numérique et de l’IA, vus par Alexandre Monnin comme des technologies “zombie” (vivantes aujourd’hui mais de fait déjà mortes), et questionnerai les pistes de leur démantèlement nécessaire, de mon point de vue l’axe prioritaire de la recherche numérique aujourd’hui. J’évoquerai dans un second temps la question anthropologique de l’ontologie naturaliste occidentale, absolument unique dans l’histoire de l’humanité, et en conflit avec les connaissances ethnographiques, de psychologie sociale et cognitive modernes: en deux mots, nous n’avons pas besoin d’un nouveau récit pour le monde, mais de retisser les liens animistes avec le vivant qui sont une partie intégrante de notre ADN, aujourd’hui masquée par notre culture et nos tabous auto-destructeurs. Ce travail écopsychologique est, selon moi, la clé de voûte de l’engagement de tou·tes les chercheur·ses-ingénieur·es vers la transition nécessaire, enthousiaste, collective et interspécifique que nous devons mener.;